1987 - Alexandre Dumas fils, La dame aux camélias

La dame aux camélias Qu’on se reporte à "Une œuvre en cours", et l’on verra sur la photographie du cahier que chaque lecture est accompagnée dans la marge d’un système de notations allant d’un à quatre +, auquel il faut ajouter deux notations exceptionnelles : 0 et un + rouge. Un + équivalait à de l’indifférence, deux + signifiaient que je trouvais ça pas mal, trois + que j’avais bien aimé, quatre que j’aimais beaucoup. Le 0 était réservé aux détestations, le + aux enthousiasmes.

Parmi les lectures qui ont déjà fait l’objet d’un billet, cinq avaient reçu ce : Les Hauts de Hurle-Vent, Rebecca, Notre-Dame de Paris, Regain et L’archipel du Goulag ; deux avaient été notées 0 : L’écume des jours et Les caves du Vatican. Le système paraissait clair mais bientôt l’échelle des notes me sembla trop large et j’ajoutai des demi-plus pour affiner mes mesures, cherchant par comparaison entre mes lectures une gradation plus rigoureuse et progressive du plaisir. Je maîtrisai pendant un certain temps les subtilités de la gradation entre ++-, +++ et +++- tant que j’avais en mémoire les plaisirs offerts par telle ou telle lecture mais au bout de quelques années, je m’y perdis et arrêtai toute évaluation. Son caractère obligatoire la rendait fastidieuse. Je m’interrogeai de plus sur la pertinence de ces jugements car je me rendais compte qu’en notant ainsi mon plaisir de lecture, j’en inférais souvent la qualité des œuvres, comme l’indique la signification des deux + (« pas mal »), système pervers qui aboutit à ce que l’on voit dans les magazines où la critique est remplacée par les « coups de cœur » et « coups de griffes » du journaliste, qui annulent la réflexion critique au profit de goûts et d’émotions.

Or le plaisir éprouvé est volatile. Une lecture très plaisante ne laisse parfois aucune onde à la surface de la mémoire. Une bonne histoire, des personnages attachants, suffisent à passer un agréable moment, et à provoquer une évaluation immédiate élogieuse. Cependant, à aucun moment de sa course rapide dans l’œuvre, on n’a été arrêté par une image, un tour, une pensée, qui obligeant l’esprit à prendre du temps pour admirer la beauté de cette image ou de ce tour, ou réfléchir à cette pensée, aurait permis d’en fixer le souvenir. On a dévoré le roman comme on dévore un pain au chocolat, indifférent à son aspect, à sa saveur, à la qualité de la cuisson – on est juste content de retrouver la consistance pâteuse et la barre de chocolat attendues, on mange à pleines bouchées inattentives. D’ailleurs, point commun avec Rousseau qui confesse avoir toujours eu « la fantaisie de lire en mangeant », j’ai beaucoup mangé de barres chocolatées en lisant ces romans, allongée sur mon lit. Voilà qui n’aide pas le souvenir. Comme les barres de chocolat entretiennent les rondeurs de la silhouette, la bonne histoire aura juste entretenu le goût de la lecture. On se souvient ensuite d’avoir aimé, sans être capable de préciser en quoi ni pourquoi.

Une même note peut ainsi recouvrir des significations très diverses et l’intensité du plaisir ou du déplaisir qu’elle marque ne présage en rien de la longueur en mémoire des œuvres aimées ou détestées, ni de leur puissance nourricière ou vomitive. J’ai donné la note suprême à Regain, L’archipel du Goulag et Notre-Dame de Paris qui n’ont absolument pas eu le même destin. La première me laisse aujourd’hui encore un goût de bonheur, la deuxième m’a bouleversée et fécondée, mais la troisième flotte au loin, sans que je puisse l’arrimer à un repère. A l’autre bout de l’échelle de notes, le 0 attribué à L’écume des jours exprime un dégoût constitutif de mon caractère alors que celui qui échut aux Caves du Vatican signale surtout un ennui colossal, dont je n’ai pu analyser la cause.

Ma lecture de La dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils, puisqu'il faut bien aborder le sujet annoncé en titre du billet (j'espère que personne n'en attendait une analyse fouillée, mais on aura constaté que tel n'est pas l'objectif du Maillage des lectures), fut notée +++- : ce fut une bonne lecture ; mais je crois pouvoir affirmer que j'ai lu ce roman après avoir entendu La Traviata, et je crains que la note ne garde davantage l'empreinte du plaisir éprouvé à cette écoute car le souvenir de l'opéra - écouté et vu plusieurs fois - engloutit celui du roman.

Commentaires

1. Le samedi 2 novembre 2013, 11:07 par Ph. B.

'j'espère que personne n'en attendait une analyse fouillée, mais on aura constaté que tel n'est pas l'objectif du Maillage des lectures" :
malgré tout, on ne peut s'empêcher de ressentir de la frustration à la lecture de certains billets...
cela dit en toute sympathie pour ce projet...

2. Le dimanche 3 novembre 2013, 14:10 par Véronique Hallereau

Je ne veux pas tricher, si je n'ai pas de souvenirs précis, je ne vais pas inventer ou recopier une analyse trouvée sur internet... c'est l'aspect existentiel des lectures qui m'intéresse, ce qu'il en reste, en quoi elles nous forment. Bon, cela est accentué par le choix d'écrire d'abord sur mes lectures les plus anciennes, d'où la part importante de l'oubli ! 

3. Le mardi 5 novembre 2013, 15:04 par Ph. B.

Et relire, pour ramener les souvenirs ou les confronter à la nouvelle lecture... ?

4. Le mardi 5 novembre 2013, 15:05 par Véronique Hallereau

Cela peut valoir la peine pour quelques-uns. J'y réfléchis !

5. Le mardi 12 novembre 2013, 10:12 par Ernesto PALSACAPA

C'est vrai que l'on peut attendre deux choses de la lecture d'un roman : soit un plaisir immédiat mais qui n'apportera pas grand chose sur le long terme (par exemple pour moi, Wodehouse), soit un plaisir éventuellement moindre mais une lecture qui restera en mémoire et alimentera la pensée (par exemple pour moi, je ne sais pas... Thomas Bernhard). On peut même songer à des lectures carrément pénibles et difficiles sur le moment, mais que l'on garde ensuite longtemps avec soi (par exemple... voyons... Joyce, Blanchot...)

6. Le lundi 18 novembre 2013, 12:52 par Saint Chaffre

Soyons exigeants et attendons d’une lecture qu’elle soit « plaisante », que l’on ressente un grand plaisir à dévorer les pages, et également « puissante », qu’elle nous accompagne quelques temps après avoir refermé le codex. En plaçant la barre (pas forcément chocolatée) aussi haut, on obtient simplement la définition du chef d’œuvre. « Notre Dame de Paris » devrait être un bon exemple, mais pour moi ce fut simplement un grand plaisir de la lecture… mettons plutôt alors "l’homme qui rit" .

Tiens, je me permets une incise : un intérêt de ce « b-log », je viens d’identifier, par l’émergence de ce souvenir de lecture toujours lumineux une probable source ancienne et oubliée de mon anglophilie ! - Woddhouse devant être, quant à lui, l’une des dernières, mais non des moindres.

Néanmoins, que penser des lectures gloutonnes ? Ma lecture de Grossman a été gâchée par ma propre intempérance : incapable de lire posément, je bâfrais les chapitres avidement en sachant que j’aurai mieux fait de faire de plus petite bouchée (Il m’arrive d’avoir le même comportement avec le vin de Bourgogne). C’est peut-être un atout du théâtre lorsque qu’il est joué, de l’opéra et de la musique, plus généralement, que de pouvoir imposer son rythme au spectateur : la littérature laisse elle beaucoup trop de liberté au lecteur.

Ce cochon de Céline, surtout dans sa trilogie finale, arrive assez bien à imposer son rythme, d’ailleurs bien plus lent que la caricature qu’on en fait, (c’est pour ça que je n’abstiens de parler de « la petite musique » qui est devenue une scie, très peu musicale). Il ne doit pas être le seul…

7. Le lundi 18 novembre 2013, 22:01 par Véronique Hallereau

Très importante, la question du rythme que l'écrivain peut imposer au lecteur ! Il me semble qu'une écriture un peu complexe, par son vocabulaire, ses images, sa syntaxe - mais sans être obscure - doit obliger le lecteur avide à ralentir sous peine de ne pas comprendre... 

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