1987 - Boris Vian, L'écume des jours

Ecume des joursEmprunté à la bibliothèque.

L'écume des jours est le livre culte de l'adolescence. C'est du moins ce que j'entendais dire et ce qui me détermina à lire L'écume des jours adolescente.

Contrairement à d'autres œuvres qu'il ne valait mieux pas lire trop jeune, celle-ci était taillée pour les rêves et les interrogations de notre âge, murmurait un air du temps. 

Il n'aura pas été mon livre culte. Et je l'appréciai même très peu. Sans doute faut-il mettre une partie de la déception sur le compte de la rumeur très flatteuse qui, comme toujours en soufflant trop fort dans le ballon de l'attente, le fait immanquablement éclater avant que tout plaisir ne survienne.  Mais les raisons de la non-rencontre vont au-delà. Je fus rebutée par ces inventions qui, aujourd'hui encore, résument pour moi le roman : le piano-cocktail, la maladie du nénuphar dans les poumons, les murs qui se courbent et rétrécissent la chambre de la mourante, etc. Je n'aime pas cet attirail symbolique censé frapper l'imagination, cet onirisme qui fabrique des objets bizarroïdes, les veaux à trois têtes, les chaussettes avec des yeux, les bouches-canapés qui parlent. Cet imaginaire sonne faux car trop cérébral. Pour reprendre les catégories de Bachelard, on est là dans l'imagination formelle. Elle croit nous évader de la réalité trop plate en faisant surgir de l'absurde, de l'incroyable, du bizarre, et c'est le contraire qui arrive, elle nous enferme dans un monde encombré d'humanité. Elle crée un monde sans ailleurs, sans mystère, sans profondeur  rien qui ne nous transcende. C'est le pire du surréalisme, la caricature du caractère artificiel qu'il peut prendre, comme dans les tableaux de Salvador Dali. De l'art à l'épate, de celui qui fait parler, mais ne parle pas.

Je ne relus jamais du Boris Vian et ne prévois pas de le faire.

Commentaires

1. Le dimanche 30 juin 2013, 21:15 par Laurent

Sans partager ton point de vue sur l'esthétique de l'ouvrage, ce billet trés bien rédigé est à la fois subjectif et intéressant démontrant que ce n'est pas nécessairement incompatible.

2. Le lundi 1 juillet 2013, 20:18 par KIKIBEA

C'est un régal de te lire Véronique, contrairement, pour moi, à Boris Vian !!

3. Le mercredi 3 juillet 2013, 15:33 par Saint Chaffre

On présente toujours Vian comme un génie fulgurant : son parcours académique, sa passion pour la trompette, ses chansons, ses traductions, etc. Il semble aux yeux de ses panégyriques que quoi que touchât l’auteur du déserteur, il le transmute immédiatement en chef d’œuvre indépassable.

Le raisonnement ne tient pas : la maladie n’a pas laissé le temps à son talent de murir et à son génie, potentiel, de s’exprimer en acte fameux. D’autre part, le bonhomme savait qu’il jouait une partie implacable contre la montre et ses incursions rapides dans des domaines si diversifiés sont autant d’expériences trop hâtives avant qu’il ne soit trop tard. Il serait idiot, et immoral, de le lui reprocher d’ailleurs.

Si l’on suit ses thuriféraires et posons l’existence de son génie – hypothèse que je suis tout à fait prêt à partager- alors nous aboutissons à une tragédie aussi effroyable que grandiose : ce jeune homme, se sachant condamné à très brève échéance, a choisi consciemment la joie, et le moment, à une quelconque réalisation intellectuelle ou « destin » qui eût transcendé son individu, et par suite, sa finitude. Il a préféré la vie à la « gloriole ».

C’est bien cette destinée comprise comme refus du destin qui est chez lui le plus intéressant. Sûr que cela a à voir avec l’époque : Quelle guigne d’être promis à la mort en pleine Libération et à quoi bon jouer au héros, fût-ce de l’esprit, maintenant que la guerre est finie et que les charniers sont déjà remplis. Faisons plutôt un pied de nez au destin et vivons le peu qui nous reste à cent à l’heure.

Cela nous aide à comprendre un peu l’étrange schizophrénie qui doit hanter la psyché de chaque artiste : doit-il être l’esclave docile de son art ou peut-il l’appréhender avec un certain recul. Certes, ces questions sont sans réponses, mais Vian, à la manière de Nimier –comme quoi !- nous en donne une illustration autrement plus intéressante – et iconoclaste- que l’image d’Epinal dans laquelle on l'a « formolisé ».

4. Le jeudi 4 juillet 2013, 09:22 par Véronique Hallereau

Je trouve excellente ta mise en perspective ! Toutefois, je pense qu'il faut nuancer cette opposition de l'art (vécu comme destin, désir de postérité, de "gloriole" comme tu l'écris) et de la vie, comprise comme joie de vivre le présent. Tout d'abord, il y a confusion entre joie et plaisir : vivre dans le présent, intensément, toucher à tout de manière hâtive, c'est faire une recherche exclusive du plaisir (à travers les plaisirs) et de la facilité, recherche un peu vaine tant le plaisir s'émousse dans la répétition ; la joie est plus profonde, c'est celle qui accompagne la difficulté vaincue à force de temps et de travail, l'acte devenu aisé à faire à force d'avoir été réfléchi, répété, etc. Je pense donc que la joie est du côté de l'art, non du vivre-au-présent. Cette joie est d'ailleurs une gratification merveilleuse pour l'artiste, pour qui l'art n'est pas forcément synonyme de souffrance et de sacrifice. Il est vrai que pour cela, il faut avoir un minimum de confiance en l'avenir et le sentiment qu'on peut consacrer du temps à l'oeuvre.

5. Le jeudi 4 juillet 2013, 17:13 par Saint Chaffre

Désolé, je voulais dire « La Gloïre » et non la « gloriole », l’expression étant dans L’Arrache-cœur. Et cette bévue est lourde car, si l’opposition est bien dans « la nuance », elle est pourtant fondamentale. On pourrait très vite aboutir à des réductions ad Nietzscheum, et opposer Socrate à Platon, le baroque au classicisme, Port Royal à Versailles, etc..

Je ne suis pas sûr de l’impartialité d’un propos tel que « (la) recherche un peu vaine tant le plaisir s'émousse dans la répétition; la joie est plus profonde ». Cette profondeur serait-elle celle, insondable, d’un arrière-monde ? (il me faut ici me faire l’avocat du diable, mais en fait, je crois bien que ma religion n’est pas faite). Pire, cette joie ne serait-elle pas une vaine gloire, presque une vanité ?

Ce qui me semble intéressant ici, c’est que pour une fois les partisans du bel ouvrage (« les classiques ») comme les « tourmentés de la création » (« les Romantiques ») sont enfin dans le même camp (le peintre de l’Œuvre de Zola et Zurbaran). Mais pour réconcilier de tels ennemis, il leur en faut un nouveau en partage, et lequel ! Le dilettante, le mécréant (en fait, ces deux termes sont parfaitement synonymes : Si le premier s’emploie dans un domaine profane, il est aussi connoté et fort que le second car tout est religion, à commencer par l’art : Les wagnériens me comprendront aisément.). A ce prix-là, l’on pourrait même réconcilier MM. Dusapin, Beffa, Ducros et Manoury contre soi (perspective effrayante s’il en est).

Evidemment, ce débat est vain pour l’esthète, car l’artiste en puissance, comme un Epicure ou un Socrate, qui choisit son « hic et nunc » ne laissera pas d’œuvre. Il faudra que d’autres, disciples autant admirateurs qu’opposés sur ce point, Platon et Lucrèce, n’inscrivent la trace de leur maître, et s'inscrivent dans la trace de leur maître... ô gloriole !

C’est particulièrement le problème avec Vian : il y a beaucoup trop de grands prêtres autoproclamés qui voudrait en faire un peu plus qu’un Messie. Essayons un instant de nous mettre dans la peau de Boris Vian et écoutons-les : Il faut se dépêcher de rire avant que de mourir.

6. Le jeudi 4 juillet 2013, 21:12 par Véronique Hallereau

Non, cette joie n'est celle d'une vaine gloire, c'est une réalité intérieure éprouvée ici et maintenant ; et puisque tu sors l'artillerie, à moi Spinoza : la joie est un affect qui accompagne l'affirmation des facultés de l'esprit et du corps. Rien de vain là-dedans, au contraire, on vit pleinement.

Dilettantes, Epicure, Socrate ? (comparaisons qui font beaucoup d'honneur à Vian !) On a peu d'œuvres du premier, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas écrit et sérieusement. Quant au deuxième, certes, il n'a pas laissé d'écrit, mais il me semble qu'il avait un rapport très sérieux à la philosophie (il en est mort, non ?). J'associerais plutôt le dilettantisme aux sophistes : le plaisir des mots, le manque d'attachement au fond. Le dilettante manque de tranchant, il accueille tout, il aime tout... Peut-on vraiment aimer quelque chose sans s'opposer à rien, parce que rien ne vaut la peine d'une telle position "héroïque" ?

7. Le vendredi 5 juillet 2013, 13:24 par Saint Chaffre

Qui oserait lutter contre une telle armée, et avec Spinoza à sa tête ? S’il m’est permis de paraphraser Socrate (transcrit par Platon). Fair enough, la joie comme manifestation du conatus. Mais pourquoi donc limiter cette affirmation de l’esprit et du corps à la seule expression artistique (ou religieuse ou politique). Il est temps de parler, avec une grise autorité du concept psychanalytique de sublimation et de se ranger sous le manteau de Freud, qui vaut bien celui de la Vierge (à chacun son Ashera, mais là, je digresse).

S’il doit nous rester une chose de Vian, c’est bien justement cette recherche éperdu de « joie », cette volonté, au sens fort (mais je ne ferai pas d’allusion à un philosophe ayant vécu à Francfort, cette discussion étant comme l’étant : marécageuse et envahie par les philosophes, pour paraphraser Nimier).

Parlons plutôt de choix, bien que ce dernier soit contraint par la conscience de la maladie chez Vian. Il y a chez lui, c’est là toute mon hypothèse et rien qu’une simple hypothèse, un choix de se réaliser par-delà (ou en deçà) une expression artistique « dans les règles de l’art ».

Je suis le premier à convenir de l’intérêt limité de son œuvre et suis pareillement énervé par le discours nous le présentant comme un génie absolu. Néanmoins, son œuvre lui a survécu et nous pouvons penser que cela n’est pas seulement dû à ses idolâtres. J’émets donc l’hypothèse que cet intérêt n’est pas dans son œuvre, mais dans la manière dont Vian l'a réalisée, ou plus exactement, délaissée, et la trace de ce geste se trouve dans son œuvre bâclée. Cela ne va pas bien loin, j’en conviens de très bonne grâce.

En fait, cela aboutit au procès du dilettante. Le réquisitoire semble implacable : « le manque d'attachement au fond ». Et si ce dernier est vaseux, nous faut-il à tout prix jouer les carpes et rester tapis dans les tréfonds, ou, truites, bondir légèrement hors de l’eau, jouant avec les reflets du soleil à la surface. Quelque chose entre Apollinaire et Schubert ? Sautillant de Schubert à Wagner (un petit pas pour moi, mais quel bond…) : entre les Ondines et Alberich ? Wotan lui a choisi, et que brûle Walhalla et s’effondre le pouvoir des dieux ! Wagner certes archétype de l’intransigeance artistique mais aussi un homme très, et trop, humain. Ne faut-il pas un peu de Sachs pour supporter Tristan ?

Pour faire référence à des billets du blog, quel est le coup de génie de Soljénitsyne avec sa Journée d'Ivan Denissovitch ? Ce n’est pas d’avoir construit un argumentaire implacable mais de nous avoir donné à voir avec des yeux simples, sans regard politique, religieux ou artistique.

8. Le mardi 9 juillet 2013, 15:11 par Ernesto Palsacapa

Oui, l'écume des jours, j'avais bien aimé, sans plus, à l'adolescence, mais, contrairement à d'autres auteurs que l'on est supposé lire à cet âge de la vie, je ne m'y suis jamais replongé et rien ne m'a jamais tenté de le faire... c'est un signe.

9. Le mercredi 10 juillet 2013, 15:27 par Saint Chaffre

Il y a aussi des lecteurs dilettantes et des lectures dilettantes.

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