2001 - Fédor Dostoïevski, Les démons

Démons Acheté en 1995, lu quelques années plus tard.

Une nouvelle traduction des Possédés (Les Démons) par André Markowicz me donnerait l'occasion de replonger avec délices, pensais-je, dans un roman que j'avais beaucoup aimé adolescente, quand je l'avais lu en 1991. Hélas, le roman me parut extrêmement verbeux et je m'arrêtai au tiers (raison pour laquelle je ne l'ai pas inscrit dans le cahier des lectures). Je gardais un si bon souvenir des romans de Dostoïevski, notamment Les frères Karamazov, que cette répugnance nouvelle me consterna. Que se passait-il donc ? 

Je crus d'abord que me déplaisait la traduction de Markowicz, qui était, expliquait-on, beaucoup plus proche du texte original, très attentive à faire entendre le russe sans vouloir l'épurer au filtre d'une langue française classique à la syntaxe trop rigide. La lecture de L'Idiotpourtant, me fit le même effet quelques années plus tard encore, vers 2007 ; or il s'agissait d'une traduction ancienne. Markowicz n'avait fait qu'accentuer en français ce qui est présent dans l'original : une prose touffue, outrancière, qui ne recule pas devant les clichés ni devant les procédés sentant le feuilleton du XIXème siècle. J'ai en mémoire une description dans L'Idiot : une jeune fille qui d'émotion rougit, aussitôt pâlit, rougit de nouveau... qui clignote quoi ! Ces défauts qui étaient passés inaperçus quand je lisais adolescente, qui sinon ne m'auraient pas gênée, mineurs au regard de la puissance et de la dimension spirituelle de l'œuvre, agaçaient l'adulte. Ma lecture de L'Idiot subissait sans doute l'influence d'un autre écrivain russe : Nabokov, dont j'avais lu des entretiens sur la littérature, jugeait Dostoïevski illisible. Ce jugement me rendit certainement plus attentive à son style, et plus sévère. 

Il est possible aussi que mon goût ait évolué et que j'aie moins bien supporté sur des centaines de pages les ratiocinations des personnages dostoïevskiens. Je ne subissais plus la fascination qu'avaient exercée sur moi un Kirilov qui veut affirmer sa liberté en se suicidant ou un Stavroguine. L'attirance avait disparu ; ne restait que la répugnance que m'inspiraient ces orgueilleux qui aspirent au bien et à la liberté avec une passion si exaltée que l'aspiration en est viciée. Leur âme débat avec elle-même sur son aspiration au bien et son désir de rechute dans le mal, s'enorgueillit de s'humilier et est humiliée de le faire, incapable d'accueillir la grâce qu'elle appelle pourtant, illustrant l'aphorisme de Pascal, Qui veut faire l'ange fait la bêteOn m'objectera que je confonds dans le discrédit les personnages et l'œuvre. Pourtant le personnage central des Notes d'un souterrain, livre relu lui aussi à l'âge adulte à l'incitation de Nietzsche – le personnage étant l'incarnation de l'homme de ressentiment – gardait son pouvoir de fascination malgré sa logorrhée. Le format plus court et concentré de la nouvelle sied davantage, ainsi que le ton de colère refroidie que je trouvai plus efficace. 

Je crois que je supporte beaucoup moins l'outrance. Elle permet certes des scènes d'anthologie, et la démesure des personnages, leur caractère absolu, émeut profondément ; elle prend même parfois un tour comique comme dans une scène de L'idiot où l'héroïne, la belle humiliée ***, lors d'une soirée demande à chacun de ses invités d'avouer son action la plus honteuse. Succès d'animation garanti. Mais une partie de moi se raidit devant le mélodrame, une partie inquiète de voir l'autre s'émouvoir trop facilement, même si les ficelles sont très grosses. J'ai constaté le même mouvement de déprise vis-à-vis d'un film pourtant adoré et vu de nombreuses fois : Rocco et ses frères de Visconti (qui a d'ailleurs adapté une nouvelle de Dostoïevski). Le film met en scène des personnages cousins de nos Russes, avec le trio du débauché, du pur et de la prostituée, et des thèmes proches : le sacrifice, la justice, l'amour comme promesse de salut. Les scènes où les personnages s'épanchent bruyamment, pleurent, crient, gémissent (la scène du repas de fête !) me paraissent de plus en plus sur-jouées et fausses. Elles m'émouvaient, elles me sont devenues pénibles. La tragique chrétien rabaissé au mélodrame ! Le traitement réservé à Nadia la prostituée – Rocco faillit à sa promesse de la sauver et la sacrifie à son frère devenu meurtrier – me révulse d'ailleurs de plus en plus.

Eprouverais-je le même recul vis-à-vis des Frères Karamazov ? J'en tremble et n'ose pas le relire, préférant garder le souvenir de ma lecture faite à l'adolescence qui est sans aucun doute la meilleure période de la vie pour lire Dostoïevski. Serais-je mûre pour lire plutôt Montaigne ? 

Commentaires

1. Le jeudi 11 décembre 2014, 19:25 par Ph. B.

il arrive que des écrivains éveillent une partie de nous que nous n'aimons plus trop voir ou voudrions corriger... alors on préfère s'éloigner d'eux...

2. Le jeudi 11 décembre 2014, 22:27 par Véronique Hallereau

La littérature est parfois un miroir qui nous terrifie ! Je ne pense pas que ça aille jusque-là pour Dostoïevski. Je n'exclue pas d'ailleurs de ré essayer un jour de le lire car rien ne me dit que cette seconde (non) lecture soit définitive.

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