1983 - Hector Malot, Sans famille

Sans-familleEmprunté à ma sœur. Date de lecture purement indicative. 

Par la proximité de leurs thèmes ou de leur atmosphère, des romans sont rangés dans le même fond de notre mémoire si bien que l’évocation de l’un en appelle immédiatement un ou plusieurs autres, et va parfois jusqu’à les confondre. C’est ainsi que dans le billet précédent, alors que je me rappelais avoir lu enfant une version abrégée de David Copperfield, un autre titre me vint immédiatement à l’esprit : Sans famille d’Hector Malot. Sortons les mouchoirs ! 

Comme David Copperfield, le héros de Sans famille, Rémi si je me souviens bien, est orphelin. A regarder l’illustration de la couverture, je me rappelle qu’il est musicien (mais je le croyais flûtiste et non harpiste) et qu’il suit dans ses aventures un forain et ses animaux. L’image me fait penser maintenant à la situation de L’homme qui rit de Victor Hugo, lu en 2013. Les orphelins sont nombreux dans le roman du XIXème siècle et le thème de l'enfance malheureuse est l'un des plus émouvants qui soit.  Sans famille a été adapté en dessin animé par les Japonais, et je dois davantage me souvenir de ce dessin qui est passé à la télévision française vers 1979-1980, si j’en crois Wikipédia, que du roman. C’est qu’avec un autre dessin animé japonais, Candy, il faisait naître en moi la même émotion, de grosses larmes de tristesse. Bien que j'aie eu une enfance heureuse, voir des personnages d'enfant pleurer généreusement sur l'injustice du monde me tirait des larmes abondantes. Le mimétisme jouait à plein. Or cela se répétait à chaque épisode ; et au bout d’un moment, quand j’eus conscience du caractère systématique de mes pleurs, j’éprouvai une certaine réticence à regarder ces dessins animés. Je ne sais pas si le roman a ce même effet que le dessin animé – j’en doute. Mais voilà, il pâtit de ses adaptations à l'écran et Sans famille est devenu pour moi synonyme d’histoire larmoyante.

Je n'aime pas ces émotions trop fortes et soudaines pour être vraies. Elles sont la réaction machinale aux intentions démiurgiques de l'auteur qui, pour les provoquer, n'a généralement pas lésiné sur les moyens. Et c'est ce qui me désole le plus : bien que je comprenne l'intention et que je voie les grosses ficelles, je ne peux empêcher mes larmes de couler, comme si l'auteur avait ouvert un robinet. Rien de ce qui précède normalement la montée des larmes ne s'est manifesté : pas de picotements dans la gorge, pas de pincement au cœur, pas d'humidité dans les yeux. A l'absence de ces signes, je sais que l'émotion est factice. Qu'elle n'est pas née de la situation elle-même, de mon empathie profonde avec les personnages, mais d'effets extérieurs à l'œuvre, connus pour leur effet lacrymogène. La musique est le plus utilisé de ces moyens et le plus efficace. Je vis donc cette situation au cinéma bien davantage qu'en lisant.

Les romans me font rarement pleurer, ou rire aux éclats. Les émotions qu'ils font naître sont plus diffuses. Pour s'en tenir au chagrin, les yeux se mouillent en priorité devant deux sortes de situation : un amour non réalisé, et les lettres, surtout celles qui ne seront pas reçues, ou pas lues. Je pense par exemple à mes lectures de Vie et destin de Vassili Grossman (où l'on trouve les deux) et de L'éducation sentimentale de Flaubert, la scène de la dernière rencontre entre Frédéric et Mme Arnoux. 

Je ne connais qu'une exception : la lecture de Mort à crédit de Céline, lu en 1998. Une large part du roman décrit l'enfance recluse et triste de Ferdinand dans un appartement obscur d'un passage parisien.  Ce n'est sans doute pas par hasard que l'on retrouve le thème de l'enfance malheureuse. Vie humiliée des parents, violence du père, échecs à répétition du fils : le tableau est sombre. Mais il ne me fit pas pleurer. C'est plus loin dans le roman, quand Ferdinand est adolescent, qu'une scène de violente dispute entre le fils et le père me bouleversa et me fit pleurer. J'éprouvai deux sentiments contradictoires : le soulagement qu'enfin le personnage cesse de se soumettre à la violence et l'humiliation paternelles, et se révolte contre elles ; l'horreur qu'elle prenne la forme d'une autre violence et que le fils batte le père. Il me semble d'ailleurs me souvenir que le fils éprouvait aussi ce déchirement et qu'il se sentait misérable. Son acte le faisait vomir et pleurer. La scène était pathétique à souhait ! 

Un autre souvenir revient mais incertain. La scène où Sophie abandonne sa fille au nazi dans Le choix de Sophie de William Styron a dû logiquement (si je puis dire) me tirer des larmes. Je qualifie le souvenir d'incertain car il est supplanté par celui de la même scène dans le film avec Meryl Streep qui, lui, me fit beaucoup pleurer, et dans ces pleurs se mêlaient je crois une émotion authentique et une émotion factice. Authentique de par la justesse du jeu de l'actrice, mais factice en raison de la nature tragique de la scène (elle doit choisir lequel de ses enfants abandonner : ce n'est pas un choix). Quand on n'a pas la liberté de ne pas pleurer, l'émotion que suscite la scène est entachée d'un automatisme qui la fausse. Ma réticence au mélodrame se confirme. 

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