1987 - Molière, Dom Juan et Shakespeare, Hamlet

MolièrePris dans la bibliothèque familiale.

J'ai critiqué, dans le billet sur ma lecture d'Eugénie Grandet, la manière dont l'école aborde la littérature et le dégoût qu'elle peut faire naître. Dans mon cahier de lectures, je ne pris d'ailleurs pas toujours la peine de noter celles qui avaient été faites à l'école en cours de français, comme si leur caractère obligatoire et impersonnel leur ôtait toute valeur. C'est pourtant parce que nous venions d'étudier Le Cid, pièce qui n'est pas inscrite dans le cahier, que je vois notées, l'une après l'autre, Hamlet et Dom Juan. L'école peut être aussi un lieu de compréhension et d'amour des œuvres littéraires. 

J'avais beaucoup aimé la lecture et le travail sur Le Cid faits en cours. J'avais d'abord été heureuse de m'approprier un texte dont ma sœur aimait déclamer, en prenant des poses comiques et un ton outré, les tirades les plus célèbres, ainsi la phrase de Don Diègue : O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! Enfin je remontais à la source d'une plaisanterie qui me faisait rire, et pouvais m'amuser moi aussi à la dire, rivaliser avec ma sœur dans la pompe théâtrale. Mais au-delà de ce plaisir, la lecture fut guidée par un bon professeur qui nous expliqua le drame cornélien, nous exerça à lire à haute voix certaines scènes, attira notre attention sur des vers qui me sont restés en mémoire  ils sont célèbres et appartiennent à la mémoire collective : Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ou Aux âmes bien nées /La valeur n'attend point le nombre des années. Je me souviens de mon excitation intellectuelle de découvrir puis reconnaître des procédés stylistiques, la célèbre accélération de va, cours, vole et nous venge, la métonymie, l'oxymore, d'en admirer à la suite du professeur l'usage qu'en faisait Corneille, le sens qui en sortait.

Bref, l'étude du Cid me donna envie de lire d'autres pièces de théâtre, pour retrouver le plaisir de la déclamation et du jeu. Je me souviens très bien de ce mercredi après-midi quand, seule à la maison, je regardai dans la bibliothèque familiale les pièces de théâtre que nous avions. Ma mère, qui recevait la visite de représentants de commerce, achetait régulièrement des collections complètes : encyclopédie historique, dictionnaire encyclopédique, théâtre classique français intégral relié en cuir rouge et or, chefs d'œuvre de la littérature mondiale édités par le Club des Libraires de France où Voltaire voisine avec Homère, Shakespeare avec Dostoïevski, l'ensemble de ces achats tenant en plus de volumes que ne pouvait contenir la bibliothèque. 

Je choisis d'abord Hamlet, sans me rappeler la raison de mon choix. Je lus la pièce en silence et rapidement, absolument pas comme à l'école ; et quoique je fus heureuse d'y retrouver son vers le plus célèbre Etre ou ne pas être, telle est la question, je ne parvins pas à entrer dans l'œuvre ni à trouver une infime partie du plaisir éprouvé à la lecture du Cid. Comme je ne voulais pas rester sur cette déception, je choisis une autre pièce, de Molière – avec l'idée que me rapprocher, par le temps, par la langue, du Cid, m'aiderait à en retrouver le plaisir. Je pris Dom Juan, peut-être en raison de l’opéra que mon père aimait écouter et dont je connaissais bien certains airs.  Je me souviens effectivement avoir éprouvé plus de plaisir à la lecture de Dom Juan, j'en lus quelques vers à voix haute mais au final, le résultat fut identique : je ressentis une certaine déception. L'élan que m'avait donné Le Cid était perdu et l'envie de lire du théâtre passa.

Je crois que je commis l'erreur de lire ces pièces comme des romans, seule, en silence, en attachant plus d'importance à l'histoire qu'à la matière, en faisant prévaloir une lecture synthétique sur l'attention aux détails. Il n'y avait eu personne pour me guider, ralentir ma lecture, m'aider à ressentir ses beautés ; personne pour m'accompagner et me permettre de m'approprier le texte en me donnant la joie de le jouer avec moi, ce qui serait peut-être la meilleure façon, en se la représentant à soi-même, de lire une pièce de théâtre.

Commentaires

1. Le vendredi 23 août 2013, 20:39 par Yulia

Je me souviens du cours de littérature où nous avons lu 'Le Bourgeois gentilhomme', je devais avoir autour de 12 ans. Je ne sais plus si la professeur avait expliqué les procédés ou non. Ce dont je me souviens, c'est qu'elle en a confié la lecture à un gars qui était un acteur né et un pince-sans-rire. Il fallait l'entendre! La classe hurlait de rire, la prof s'essuyait les yeux et notre ami était assez satisfait de lui et de l'effet produit. Quand j'y repense aujourd'hui, je me rends compte que parfois, il suffit de peu de choses pour réussir un cours. Mais aussi, que nous avons eu de la chance avec cette enseignante qui semblait toujours savoir comment nous intéresser, chose pas facile avec des petits rebelles de 12 ans qui savent précisément ce qu'ils préfèrent lire et écouter, et d'habitude ce n'est surtout pas le cours!

2. Le mardi 27 août 2013, 20:51 par Véronique Hallereau

Quelle chance d'avoir eu ce camarade de classe qui ait su faire résonner cette pièce ! Mais dis-moi, l'aviez-vous lu en français ou en russe ?

Ajouter un commentaire

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.

Fil des commentaires de ce billet