1987 - Christiane Collange, Moi, ta mère

CollangeEmprunté à ma sœur.

J'ai récemment lu, dans Les tactiques de Chronos, livre de vulgarisation sur le temps écrit par le physicien Etienne Klein, un passage sur la mémoire spécifique de l'inconscient qui m'a fait peur.

Reprenant la thèse de Freud, Etienne Klein évoque la faculté d'oubli de l'homme, l'oubli d'événements qu'il a pourtant vécus. Ces événements seraient en fait enregistrés dans la mémoire de l'inconscient, qui est spécifique en ce sens qu'elle ne subirait pas les dommages du temps qui passe : pas de distorsion du souvenir comme il arrive ordinairement dans la mémoire consciente à laquelle nous avons accès. Son rôle serait donc essentiel car elle donnerait  à l'inconscient son caractère inaltérable et définitif et formerait le noyau dur de notre identité.

J'ai alors pensé au Maillage des lectures et me suis dit, suivant la thèse de Freud, que les lectures dont je ne me souvenais absolument pas avaient peut-être été les plus importantes, car constitutives de mon inconscient. Rien que pour l'année 1987, auraient ainsi joué un rôle décisif :

Mademoiselle de la Ferté de Pierre Benoît,

La clé sur la porte de Marie Cardinal,

La vallée de la peur de Sir A.C. Doyle,

Retour à la montagne de Roger Frison-Roche,

Amours d'Oxford d'Elizabeth Goudge,

Moi, ta mère de Christiane Collange,

et bien sûr quelques Julien Green.

Mon inconscient me fait peur.

Je voudrais extirper quelques bribes sur tel ou tel titre pour me rassurer, mais je n'irai guère plus loin que Woody Allen tout juste capable de dire, à propos de sa lecture de Guerre et Paix, que ça se passe en Russie. Retour à la montagne ? Je me souviens, oui, d'hommes encordés... La clé sur la porte ? Un appartement parisien ouvert à tous, aux amis des enfants, aux gens de passage... 

Je sens monter un sentiment de panique. Le souvenir pourrait être plus indirect, l'orthographe d'un mot compliqué, ou un mot ancré une bonne fois pour toutes dans mon vocabulaire... Je peux lier avec certitude la connaissance de certains mots à une lecture précise. J'ai ainsi appris, dans Les Hauts de Hurle-Vent, les adjectifs 'irascible' et 'vindicatif', à jamais associés à Heathcliff ; le nom "concubine" dans un roman d'Agatha Christie ; bien plus tard, je rencontrai le nom 'procrastination' chez Proust ("ma 'procrastination' comme disait Saint-Loup" écrit le narrateur, désignant la préciosité d'un mot qui depuis quelques années est à la mode). Mais ici, non, pas de souvenir de cet ordre.

Et pour les autres titres, c'est pire, rien ne vient.

Tout de même, ce roman : Moi, ta mère de Christiane Collange. Le titre fait tache dans la liste de mes "classiques" (il y en aura d'autres). Aucun souvenir du contenu, hélas, mais je sais comment j'en suis venue à le lire. Il était dans la bibliothèque de ma sœur aînée, qui avait dû l'acheter avant de prendre un train comme cela lui arrivait régulièrement, qui avait dû avoir connaissance de ce livre dans le même magazine que moi, et pour cause puisqu'il était présent à la maison : Madame Figaro. Je revois les critiques, à peine distinctes des publicités, illustrées de la même photographie montrant la bonne bouille de Christiane Collange, journaliste-romancière, famille Servan-Schreiber ; critiques peu subtiles exaltant son parler-vrai, son humour corrosif, son humeur râleuse et joyeuse, par lesquels elle dépiautait les mœurs de la société, comprendre celles de la bonne bourgeoisie. Une veine inépuisable qu'elle exploitait avec quelques consœurs de la presse parisienne, les Katherine Pancol, les Claude Sarraute, les Alix Girod de l'Ain, qui reprenaient leurs articles pour magazine et les dilataient jusqu'au volume de 150 pages, contenance minimale pour qu'ils aient l'air de romans. Par curiosité, pour vérifier le bien-fondé des éloges, j'avais pris ce Moi, ta mère : il était court, je le lirais rapidement. Un roman plus inutile encore que l'article de départ, oubliable et vite oublié.

Oublié donc présent dans l'inconscient ? Une journaliste-romancière est tapie au fond de moi et influence malgré moi mes essais littéraires... Diable de Freud ! Je préfère penser que cette lecture m'a présenté un anti-modèle et, depuis ce Collange-là, je me suis tenue éloignée de ce genre de production. On n'est pas trop vigilant contre la facilité.

Commentaires

1. Le mardi 21 janvier 2014, 22:10 par monoreiller

Je confesse un Nothomb sur l'inconscient.

2. Le mercredi 22 janvier 2014, 15:33 par Ernesto PALSACAPA

Alors ça, c'est une idée inquiétante : mon inconscient doit être une vraie poubelle...

3. Le mercredi 22 janvier 2014, 16:12 par Véronique Hallereau

@ monoreiller : Je n'ai lu qu'un Nothomb - dont je ne me souviens pas du titre - mais assez de l'histoire et de l'atmosphère pour la tenir loin de mon inconscient...

@ Ernesto Palsacapa : Freud est un penseur intéressant, mais la psychanalyse n'est pas non plus une discipline scientifique. C'était surtout l'occasion d'une boutade !

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