2021 - Comtesse de Ségur, Le général Dourakine et autres titres

Trouvé dans ma chambre d'enfant, relu à ma fille de cinq ans.

Dans ma chambre d’enfant j’ai retrouvé cet été quelques livres de la comtesse de Ségur que, en quête d’une nouvelle lecture pour ma fille, j’ai récupérés et commencé à lui lire. A ce jour, j’ai lu la trilogie Les malheurs de Sophie, Les petites filles modèles, Les vacances, puis Les bons enfants, Mémoires d’un âne et enfin Le général Dourakine. Cela me permettra de revenir sur les souvenirs que je garde de ma propre lecture, résumés dans le billet sur Les vacances.

Tous les livres ne sont pas à moi : je suis allée à la bibliothèque municipale dans l’idée d’en emprunter. Je ne trouve d’abord rien ; demandant à la bibliothécaire, je m’aperçois qu’elle ne connaît pas la comtesse de Ségur, au point même que je doive lui épeler son nom. Sa recherche est vaine : dans tout le réseau des bibliothèques de Paris, la comtesse de Ségur est maintenant inconnue dans les livres pour enfants ; nous découvrons qu’elle est réservée aux adultes, ceux qui regardent les étagères « lettres, littérature ». Les enfants ne risquent pas de tomber sur ses romans par hasard.

En la relisant à ma fille, je me suis demandé de quoi on gardait les enfants actuels. De la morale catholique qui imprègne ses romans, où Dieu permet que l’enfant soit justement puni de sa mauvaise action ? Du milieu noble, hiérarchisé, dont la vie oisive est permise par une nombreuse domesticité et dont les enfants ont des bonnes ? De certaines répliques étonnantes, je pense à Sophie qui, sur le point d’embarquer pour l’Amérique, exprime le désir qu’on lui achète là-bas un petit esclave noir ? Je me surprends moi-même à être attentive : quand la comtesse de Ségur décrit « les sauvages » sur l’île desquels ont échoué Paul et le commandant de Rosbourg, est-ce que ça passe la rampe ? Eh bien il me semble que oui : on y trouve des préjugés d’époque, chacune a les siens, mais la foi chrétienne et la charité de la comtesse de Ségur la sauvent ; elle fait preuve d’une grande capacité de jugement, jamais de mépris. Le caractère moral des romans a d’ailleurs ouvert des conversations avec ma fille, l’école offrant nombre de situations comparables à celles que vivaient des enfants du XIXème siècle, auxquelles nous avons réfléchi ensemble. Il est vrai que le ton parfois très édifiant nuit au plaisir du récit, comme dans Les vacances où les parents observent les bonnes actions des enfants, les en félicitent, que ça demande pardon et que ça pardonne, et que tout le monde s’aime et se le dit en pleurant pendant des pages.

Ces pages sont toutefois minoritaires et ce n’est pas ce que ma mémoire avait retenu ; aux petites filles modèles, elle avait préféré les enfants qui ont « bon fond » mais sont aussi gourmands, coléreux, peureux ou vaniteux, bref font des histoires que ma fille écoute à son tour avec un grand plaisir. En relisant mon billet sur Les vacances, je constate que ma mémoire mêlait plusieurs romans ; me fiant aux titres, j'ai pensé que le récit d’une calèche poursuivie par les loups dans une forêt enneigée, évoquant la Russie, figurait dans Le général Dourakine, alors qu’il s’agit d’un des récits que se font Les bons enfants ; j’ai imputé Les malheurs de Sophie à sa belle-mère, Mme Fichini, or les malheurs ne sont que les bêtises que commet une fillette qui a « trop d’idées ». J’ai eu également la surprise de constater que ces scènes avec Mme Fichini, dans Les petites filles modèles, ne sont pas si nombreuses : le personnage est si réussi, à la fois grotesque et méchant, qu’il impressionne la mémoire. D’autres souvenirs me sont revenus au moment de la lecture, ainsi l’épisode des fruits confits dévorés par Sophie, ou Mme Papofski dans Le général Dourakine, autre personnage cruel qui a le fouet facile. 

Dans le billet sur Les vacances, j’ai écrit que ma vision de la vie russe, oisive, que l’on trouve chez Tourguéniev ou même Tchékhov, avait sa source dans les romans de la comtesse de Ségur, qui avaient contribué à me donner l’envie de vivre dans ce pays. Pourtant, Le général Dourakine, dont l’action se passe là-bas, ne renvoie pas une image idyllique de la Russie ! La comtesse de Ségur insiste sur le fait que l’usage extensif du fouet, avec les serfs comme avec les enfants, soit le gouvernement par la peur, encourage l’hypocrisie, la paresse, la veulerie… et elle invente un fonctionnaire corrompu d'un sadisme remarquable ! Cela m'a fait penser à ce que Soljénitsyne écrivait sur la corruption morale généralisée pendant la période soviétique dans son Ne pas vivre dans le mensonge. La comtesse s’émeut du sort de la Pologne et met en scène un comte polonais arrêté pour « activité anti-russe » et déporté dans l’enfer de la Koly… Sibérie. La différence d'un livre pour enfants est que les méchants y sont punis. Mme Papofski meurt, dans une dernière vengeance faisant condamner l'horrible fonctionnaire à dix ans de travail dans les mines. Je me réjouis de voir que ma fille a élargi son vocabulaire : « forçat », « Sibérie », «bourreau», « complot », « trahison », « corrompre », « servage » en font désormais partie. Connaître la Russie est décidément se spécialiser dans un bien aimable lexique. 

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