Le maillage des lectures - Mot-clé - Svetlana AlexievitchAutobiographie de mes lectures.2022-03-07T20:19:23+01:00Véronique Hallereauurn:md5:6551cf8fc6b6706899240dddee7d97eaDotclear2015 - Eliette Abécassis, Un heureux événementurn:md5:924804a94f93d2ac6aada1fb2903c3a62016-03-10T10:23:00+01:002021-03-26T13:51:21+01:00Véronique HallereauLectures d'âge adulteChantal BirmanEliette AbécassisLittérature françaiseMad MenPierre MariSvetlana AlexievitchTolstoïTémoignagesZola<p><a title="Heureux_evenement" href="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/lemaillage/public/Couvertures/.Heureux_evenement_s.jpg"><img title="Heureux_evenement" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="Heureux_evenement" src="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/lemaillage/public/Couvertures/.Heureux_evenement_s.jpg" /></a><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Acheté, lu immédiatement et vite.<br />
<br />
</span>
<span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Un
livre est lu après un autre livre, et pour un roman il peut être
mortel d'être lu, dans la vie d'un lecteur, après une merveille comme <em><strong><a href="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/post/2015-L%C3%A9on-Tolsto%C3%AF%2C-Anna-Kar%C3%A9nine">Anna Karénine</a></strong></em>. C'est ce qui arriva récemment à <em>Un heureux événement</em>,
le roman à la fois "personnel et subversif brisant les tabous de la
maternité" (selon la 4ème de couverture) d'Eliette Abécassis. Après avoir voulu relire le roman de
Tolstoï en raison du souvenir d'un récit d'accouchement, je continuai
avec <em>Un heureux événement</em>, titre
que je croisai plusieurs fois en allant sur des blogs et des forums sur
la maternité, et qui, on l'aura compris, traite de la naissance d'un
enfant et du bouleversement qu'il entraîne dans la vie d'une femme. Cela
dit, même lu après un Marc Lévy, ce livre ne pouvait être
sauvé. Pourtant, je faisais partie de son "c</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">œ</span>ur de cible" marketing,
puisque j'étais à quelques jours du terme d'une première grossesse ;
j'étais une lectrice idéale. Problème : j'aime la littérature.</span></p> <p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">La première différence flagrante, et la moindre, entre <em>Anna Karénine</em> et <em>Un heureux événement </em>est le nombre de pages : p</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">rès
de mille pour le roman de Tolstoï, 150 beaucoup moins remplies pour
le second. Non que je soupèse en nombre de pages la qualité
d'une </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">œ</span>uvre ! Un écrivain peut avoir une écriture concise et dense qui,
en peu de mots, est puissamment évocatrice: je l'avais constaté par exemple avec
le roman de Pierre Mari, <a href="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/post/2012-Pierre-Mari%2C-R%C3%A9solution"><strong><em>Résolution</em></strong></a>.
Mais quand la fameuse économie de moyens est synonyme de pauvreté d'expression, le faible nombre de pages indique un manque criant de
matière et que l'auteur n'a pas pris le temps d'écrire. Difficile de
faire vivre des personnages, de préparer une situation, de susciter des images ou des émotions si on ne donne pas un
minimum d'ampleur au texte, ce qui signifie malgré tout accumuler un
certain nombre de mots et de pages. Une lecture s'inscrit dans la
durée, et si celle-ci, </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">faute de matière,</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">
est refusée par l'auteur, le lecteur ne parvient pas à s'intéresser à ce qui est écrit.*
Abécassis consacre seulement trente petites pages au format livre de poche à : la situation -
les personnages - leur rencontre - leur amour - l'annonce de la
grossesse - la grossesse ; à peine dix, et je compte large, à
l'accouchement... dans un roman dont le sujet tourne entièrement autour
de la naissance d'un enfant ! Tout est survolé dans une succession discontinue de propos et de
saynètes qui laissent sur place un personnage incapable d'évoluer (travers que l'on r</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">etrouve dans beaucoup de romans et de films
contemporains français). </span>Que
l'héroïne soit enceinte de deux, cinq ou huit mois, ce qui n'est pas du
tout la même chose, elle n'apprend rien de son état. </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Qu'elle accouche dans la souffrance, regrette le temps
de l'amour-passion ou critique l'occasion de
consommer à outrance qu'est une naissance, tout en s'y pliant, tout est
dit également, rien n'est montré, et l'on reste indifférent.<br /><br />On
n'est pas aidé non plus par l'héroïne-narratrice, d'une cuistrerie totale. Elle clame beaucoup lire, soutenir une thèse en philosophie, vivre
"encerclée par les concepts". Pourtant elle ne réfléchit guère</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"> ; </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">et elle a beau tutoyer le <em>dasein</em>,
elle s'exprime par clichés... Quand elle se remémore les premiers temps
de leur amour, on entend les <strong><a title="Paroles_paroles" hreflang="fr" href="https://www.youtube.com/watch?v=_ifJapuqYiU">paroles paroles</a></strong> susurrées par
Alain Delon à l'oreille de Dalida. Tous les passages se voulant lyriques ou réflexifs ont des affectations de style : rimes internes pour les premiers, litanies de phrases construites à l'identique pour les seconds. Ironie de l'auteur vis-à-vis
de son personnage ? On aurait aimé y croire. Il y a, ici et là,
quelques
velléités en ce sens. Et elle pouvait en effet
écrire une comédie sur une femme intellectuelle mais affectivement
immature, démunie face à un processus naturel qui la dépasse et lui ôte
toute maîtrise sur soi ; elle pouvait écrire une satire sociale sur une
femme qui, enceinte, ne prend conseil d'aucune mère de son entourage et
se livre aux discours médical, médiatique, moral et commercial qu'on
lui inflige de toutes parts. </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Mais on peine à distinguer les propos de la narratrice de ceux de l'auteur. </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Est-ce
le
manque de talent qui fait que l'intention ironique est à peine
perceptible? Ou bien, puisque le roman est inspiré de son expérience
personnelle (comme elle le dit dans les entretiens), Abécassis manque-t-elle de
distance vis-à-vis de son personnage fac-similaire ?
On lit donc la protestation infantile, risible et pas drôle d'une femme
traumatisée par son épisiotomie, contre la terrible réalité que le
monde nous cache : deux mois après l'accouchement, on est épuisée, </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">on se sent seule, faire l'amour est douloureux et </span>le ventre est flasque. On cherche en vain les analyses
"subversives" promises en quatrième de couverture. L'unique pensée, </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">religieuse plus que philosophique, </span>que
l'auteur apporte, se résume à dire que la femme, punie de vouloir
égaler Dieu en créant la vie, est exilée du paradis de sa beauté et de
l'amour-fou. C'est son interprétation du mythe de la Genèse (guère plus
longue dans le roman que dans ce résumé). Outre la vanité absolue d'un
telle pensée </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51);"><span style="font-family: Cambria;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">–</span></span></span></span></span> la femme ne crée rien, une vie se crée en elle </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51);"><span style="font-family: Cambria;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">–</span></span></span></span></span>, elle
n'est même pas un tant soit peu fouillée. <br /><br />Je
désirais lire des récits littéraires d'accouchement, et j'étais
curieuse de lire ce récit par une femme qui avait vécu dans sa chair la
réalité de l'accouchement. <em>Un heureux événement</em>
montre la limite de la valeur de l'expérience en littérature. Avoir
vécu un événement ne qualifie pas pour témoigner à autrui de ce que cet
événement a été, pour approfondir ou mettre en perspective son
expérience. Pire (et j'ajoute cette remarque après mon propre accouchement), Abécassis va jusqu'à donner le sentiment qu'elle n'a jamais accouché, tant son expérience personnelle est perdue dans un voile de clichés censé l'habiller et la transposer. Echouant à en faire une histoire, elle ne peut même pas en témoigner !** Zola, qui a priori n'a pas eu d'expérience équivalente, parvient (<a title="Accouchement_de_Louise" hreflang="fr" href="http://meresdalors.blogspot.fr/2010/12/dans-la-de-vivre-toute-rage-de-vivre.html"><strong>ici</strong></a>) à nous faire comprendre l'accouchement en montrant la femme abandonner progressivement, au
cours du travail et à la mesure de la souffrance éprouvée, toute pudeur : elle cesse d'être une personne pour ouvrir, </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">à son péril,</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">
le passage à un nouvel être. Il est vrai que Zola avait sur
Abécassis l'avantage d'être écrivain. </span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Il est vrai aussi, comme le note
Abécassis mais aussi tous les livres existants sur le sujet que, dès la
naissance de l'enfant, la femme devenue mère tend à oublier les détails
les plus douloureux de l'accouchement, protection naturelle qui assure
qu'à l'avenir elle aura envie de recommencer... ! D'où, peut-être, la
rareté de témoignages à la première personne. Je rêve d'une Svetlana
Alexievitch qui visiterait les maternités et cueillerait encore
fraîches les paroles des accouchées pour les orchestrer*** comme elle sait
si bien le faire dans un récit subjectif. En attendant, le
mieux que j'ai pu lire sur le sujet en 2015 est l'ouvrage de Chantal
Birman, sage-femme et auteur de <em>Au monde... Ce qu'accoucher veut dire</em>. <br /></span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">* <em>Me relisant, je constate que cette phrase est la reprise assez fidèle d'un conseil que m'avait donné l'écrivain François Taillandier à propos d'un manuscrit que je lui avais fait lire. Nos mots sont parfois des leçons de morale bien apprises que, sous prétexte de les donner aux autres, nous répétons pour nous-mêmes. <br /></em></span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><em>** Cette phrase doit tout à un article de Pierre Mari sur <a href="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/post/2016-Delphine-de-Vigan%2C-Dapres-une-histoire-vraie"><strong>un roman de Delphine de Vigan</strong></a>, malheureusement plus disponible sur internet. </em></span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><em>*** Là encore, l'emploi de ce verbe doit tout à Pierre Mari qui l'utilise métaphoriquement. Ce billet est particulièrement influencé : l'écriture elle-même est maillée par nos lectures.</em><br /></span></p>http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/post/2015-Eliette-Ab%C3%A9cassis%2C-Un-heureux-%C3%A9v%C3%A9nement#comment-formhttp://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/feed/atom/comments/74