Le maillage des lectures - Mot-clé - MalaparteAutobiographie de mes lectures.2022-03-07T20:19:23+01:00Véronique Hallereauurn:md5:6551cf8fc6b6706899240dddee7d97eaDotclear2014 - Aurélie Filippetti, Les derniers jours de la classe ouvrièreurn:md5:fda7d2cf4a2fea016237add6c01cf4842016-10-12T14:38:00+02:002021-03-26T12:36:54+01:00Véronique HallereauLectures d'âge adulteAurélie FilippettiLittérature françaiseMalaparteProustRenaud Camus<p><a title="Classe_ouvrière" href="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/lemaillage/public/Couvertures/Classe_ouvri%C3%A8re.jpg"><img title="Classe_ouvrière" style="margin: 0 1em 1em 0; float: left;" alt="Classe_ouvrière" src="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/lemaillage/public/Couvertures/Classe_ouvri%C3%A8re.jpg" /></a></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Emprunté à une amie, lu aussitôt.</span></p>
<span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">L'occasion
fait le lecteur : en vacances chez des amis, vous regardez la
bibliothèque, et apercevez un livre qui suscite votre curiosité. Vous
en avez entendu parler, vous en avez lu des critiques élogieuses ou
assassines. Pour peu que vous ayez négligé d'emporter un livre ou que
celui que vous avez vous ennuie, et que le livre de vos amis soit assez
court pour être lu pendant le temps de ce séjour, vous demandez si vous
pouvez le prendre. L'hôte vous l'accorde bien volontiers, et approuve
en ajoutant : "Tu verras, c'est intéressant." Alerte !</span> <p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">L'adjectif
"intéressant" est probablement celui qui vient le plus souvent,
et souvent en premier quand on veut qualifier un livre ou un film dont
on discute avec une connaissance. "C'est bien ?" demande-t-elle. On a
envie de répondre avec un adjectif qui résumerait son opinion sur l'œuvre, car on sent que la personne qui pose la
question n'a pas forcément l'envie de suivre les méandres
d'une réflexion. Or un tel niveau de synthèse demanderait
qu'on ait au préalable analysé l'œuvre et son rapport
à l'œuvre, puis qu'on ait la capacité de ramasser le
résultat d'une telle analyse en un seul adjectif ; autant dire
que ce véritable travail d'écrivain demande
également un peu de temps... Si l'on n'est pas ébloui par
l'œuvre, ni submergé par l'émotion, ce qui se traduirait par des "magnifique, passionnant, génial" (on ne
prétend pas à l'originalité), on se rabat alors
sur cet adjectif de secours, "intéressant", lieu commun du
jugement qui invoque généralement le sujet de l'œuvre.
Il ne s'agit pas d'un jugement esthétique, mais d'un jugement
moral, celui qu'on est le plus enclin à porter, même sur
une œuvre d'art. </span></p>
<p><span style="font-size: 9pt; color: rgb(51, 0, 51); font-family: Cambria, serif;">C'est Renaud Camus, dans <em>Du sens</em>
(lu en 2002) qui m'a ouvert les yeux à ce sujet. Analysant le
rapport au sens de divers personnages chez Proust, il s'attarde sur les
deux vieilles tantes du narrateur et leur façon de porter un
regard moralisant sur tout, qui les rend incapables d'apprécier
le choix d'un mot, la beauté d'un tour, parce que ce qui est en
cause est moralement répréhensible (il me semble que
c'est à propos d'une phrase de Saint-Simon, un des
écrivains favoris de Proust). Elles citent en revanche
avantageusement un livre qu'elles ont lu, qu'elles qualifient
d'intéressant, et elles invoquent son sujet... un ouvrage
sur les coopératives suédoises, tout ce qu'il y a de plus
intéressant, dit à peu près la phrase. Par ce
choix comique, les coopératives suédoises devant
intéresser peu de monde, Proust attire l'attention sur une
lecture courante, celle qui ramène la réussite de
l'œuvre à la nature de son sujet. Il suffit de lire les
articles de presse, d'écouter les autres, de s'écouter
soi, pour le reconnaître : le plus souvent, on ne parle que du
sujet. Cela peut signifier deux choses : soit on est incapable de
porter un jugement esthétique ; soit l'œuvre ne
décolle pas de son sujet et elle est donc ratée. Par
indulgence, on la crédite malgré tout d'une bonne
idée de départ, d'un sujet intéressant.</span>
</p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Ainsi, quand cette amie m'a dit que<em> Les derniers jours de la classe ouvrière*</em>
d'Aurélie Filippetti était intéressant, me suis-je
doutée que le livre allait être mauvais. Car sa phrase,
qui dans sa bouche était de nature élogieuse (d'un éloge mesuré), rejoignait
ce que j'avais lu dans les journaux, qui avaient tous mis l'accent sur
l'intérêt du sujet. Ce n'était pas les
coopératives suédoises, certes : c'était les
ouvriers d'origine italienne travaillant dans la sidérurgie
près de la frontière luxembourgeoise, et l'on ne parle
pas beaucoup du Luxembourg dans la littérature. </span>
<span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Il
s'agissait des dernières années avant que la fin de l'industrie
sidérurgique ne dévaste la région ; les dernières années d'existence
d'ouvriers ayant une conscience de classe et attachés à leur dur métier
parce que le mode de vie qu'il nécessitait était porteur d'une culture,
qu'ils opposaient à celle des bourgeois. </span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">L'auteur est
devenu par la suite ministre de la Culture, et d'aucuns se sont réjouis
qu'à nouveau, après Malraux, un écrivain prenne la tête de ce
ministère. Erreur, non seulement parce qu'Aurélie
Filippetti ne fut pas un grand ministre, mais parce que la lecture de son roman montre qu'elle est
davantage une militante en littérature qu'un écrivain en politique. Le
dispositif littéraire de son livre, le retour au pays d'une
descendante, témoin de ces dernières années, qui au détour du paysage
se souvient du pays qu'elle a quitté, ne change rien à sa nature
documentaire. L'aspect plus personnel de son roman se réduit à des
anecdotes familiales qui, encadrées par l'histoire sociale,
n'entretiennent pas de lien formel nécessaire avec elle. L'hommage
qu'elle rend à sa famille perd de sa pertinence ; celui qu'elle rend
aux ouvriers ressemble à un hommage d'élu politique, moralisateur et convenu.
Et si on peut la remercier d'avoir au moins évité l'emphase, autre défaut propre à l'orateur politique, on regrette la platitude de l'ensemble. </span></span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Faute d'être littéraire, l'hommage rate et accomplit le contraire : il renvoie ceux qu'il voulait honorer dans
l'oubli. Ainsi évoque-t-elle le cas d'un ouvrier, qu'une chute fait disparaître à jamais dans un haut
fourneau. Elle le fait en une page – tout le monde est sous le choc, c'est
terrible, on arrête de travailler – puis enchaîne sur un souvenir de
famille. De cet événement atroce, elle ne fait rien. Il faut que le
lecteur fasse un grand effort pour s'arrêter sur ce passage, imaginer
ce qui n'est pas écrit. Voulait-elle signifier que c'était de l'ordre
de l'indicible? Rien de la sorte. J'ai rêvé à ce qu'un Malaparte,
dont j'avais lu <em>Kaputt</em>
l'année précédente, aurait pu écrire à partir d'un tel fait. Faute de
talent, l'ouvrier avait été englouti une seconde fois. </span></span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Ne nous contentons pas de romans au sujet intéressant !<br /><br /><em>* Je ne suis pas sûre de l'illustration choisie : je l'ai peut-être lu en poche.</em><br /></span></span></p>http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/post/2014-Aur%C3%A9lie-Filippetti%2C-Les-derniers-jours-de-la-classe-ouvri%C3%A8re#comment-formhttp://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/feed/atom/comments/81