Le maillage des lectures - Mot-clé - Eric NaulleauAutobiographie de mes lectures.2022-03-07T20:19:23+01:00Véronique Hallereauurn:md5:6551cf8fc6b6706899240dddee7d97eaDotclear2015 - Marie Darrieussecq, Le bébéurn:md5:087a0816becfd6a600785ae83d2273b02016-03-30T17:00:00+02:002021-12-15T11:18:14+01:00Véronique HallereauLectures d'âge adulteDonald WinnicottEric NaulleauLittérature françaiseMarie DarrieussecqNorbert EliasPierre Jourde<p><a title="Le_bébé" href="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/lemaillage/public/Couvertures/Le_b%C3%A9b%C3%A9.jpg"><img title="Le_bébé" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="Le_bébé" src="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/lemaillage/public/Couvertures/Le_b%C3%A9b%C3%A9.jpg" /></a></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Emprunté à la bibliothèque, lu aussitôt. <br />
<br />
</span>
<span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Je clos la série de billets sur le thème de l'accouchement, promis, avec le récit de Marie Darrieussecq, <em>Le bébé</em>, qu'elle écrivit suite à la naissance de son premier enfant et
que je lus avant d'accoucher. J'écris ce billet également
avant, mais comme il sera publié après, je serai sans doute tentée d'écrire un paragraphe en plus à partir de mon nouvel état de mère. </span></p> <p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">
Je lus au printemps 1998 le premier roman de Marie Darrieussecq, <em>Truismes</em>,
à un moment où je voulais découvrir la
littérature française contemporaine et que j'empruntais à la bibliothèque municipale les livres qui
avaient fait la une des suppléments littéraires. <em>Truismes </em>avait été comparé à<em> La métamorphose</em>
de Kafka, sous prétexte que le personnage principal se
métamorphosait en truie. Rapprocher ainsi un roman d'un chef
d'</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">œ</span></span></span>uvre est le moyen le plus efficace pour le rabaisser... Heureusement pour <em>Truismes</em>, je l'avais lu juste après <em>Sa femme</em>
d'Emmanuèle Bernheim, dont la platitude lui servit de petit piédestal : au moins la part fantastique de l'histoire
permettait d'échapper au réalisme terre à terre du
précédent. Pour le reste, si j'eus un certain plaisir de
lecture, je fus très agacée par le personnage
féminin, victime presque consentante à force de
bêtise, et terminai le roman dubitative quant à la nature
de son propos et la nécessité de son écriture.<br />
<br />
Peu après, je commençai son deuxième roman, <em>Naissance des fantômes</em>,
livre plus ambitieux que le précédent, que je ne parvins
pas à terminer. Et j'arrêtai là ma lecture de cet
écrivain. Par la suite, le chapitre que Pierre Jourde lui
consacra dans la parodie de manuel de littérature qu'il
écrivit avec Eric Naulleau (<em>Le Jourde & Naulleau, précis de littérature du XXIème siècle</em>, lu en 2008) ne m'incita pas à rouvrir un livre de Darrieussecq. Jourde se moquait du <em>Bébé</em>,
de l'abondance d'onomatopées, de mots infantiles et de descriptions
scatologiques qui n'apportait rien à la littérature. Et si je n'étais
pas tombée enceinte, je serais certainement restée sur ce jugement.
Mais pour cette raison existentielle, j'eus envie de lire <em>Le bébé, </em>et jugeai par moi-même. <br /></span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Concernant
la langue, je ne serai pas aussi sévère que Jourde. Le langage-bébé
n'est pas aussi présent qu'il l'affirme ni, et heureusement, les
descriptions physiologiques. Le livre se présente
comme une série de notes faites au cours de la première année de
l'enfant, notes courtes car, ainsi que Darrieussecq l'écrit dans l'une
d'elles, c'est le bébé qui donne le tempo, et il impose un rythme de
vie discontinu à ses parents. La plupart des notes consistent en des
observations du nouveau-né, des interrogations sur ce qu'il est, sur ce qu'il semble savoir de plus. Elles montrent l'étonnement des adultes
vis-à-vis de l'inconnu qu'ils ont mis au monde. D'autres présentent
quelques réflexions sur l'absence de personnage de bébé dans la
littérature, ou attestent de lectures psychanalytiques. Le tout se lit
plaisamment, mais je terminai le livre en étant restée sur ma faim.
Encore une fois, lisant le livre d'un </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Français contemporain,
l'impression que le sujet avait été effleuré et que la réflexion n'avait pas été menée assez loin. Darrieussecq aurait dû
attendre que le bébé soit à la crèche et passer plus de temps sur son ouvrage !</span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">L'auteur
d'une critique de ce livre s'étonnait que le bébé n'ait pas de prénom.
Il a certes quelques caractéristiques : c'est un garçon, sa mère est
écrivain, une partie de sa famille est basque. Pour le reste, il est
"le bébé" semblable en ses particularités à tous les autres bébés, et
c'est bien ainsi que Darrieussecq l'a voulu. Il ne peut donc être un
personnage, un bébé étant très peu individualisé. Réfléchissant aux
titres de ses autres romans, qui parlent de fantômes, de vagues, de
blanc, et au thème de <em>Truismes</em>, la métamorphose, je me dis que <em>Le bébé</em>
s'inscrivait parfaitement dans le projet littéraire de Darrieussecq,
tenter de saisir l'informe, les premières manifestations d'une forme, le
passage d'une forme à une autre. C'est très clair dans cette phrase que
je notai tant elle me plut : </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">"Son visage flottant ne s'incarne que dans les émotions." Le bébé est, tour à tour, "la colère", "la joie", "la tristesse", "l'étonnement"... </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Je me la prononce souvent quand je regarde le visage de mon enfant. </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Le bébé
est une présence en creux, qui appelle le déversement des parents,
déversement d'amour, de rêves, de regrets autant que de lait. Il est une présence qui
oblige à être constamment présent, un regard auquel on ne peut se
dérober tant il reflète ce qu'on y projette. Mais
sa présence renvoie à la solitude : la solitude propre à la
responsabilité, quand on doit prendre des décisions sans toujours bien savoir
pourquoi on les prend. Il fait éprouver le vertige de la toute-puissance
puisqu'il dépend entièrement de nous, et celui de l'impuissance, à
comprendre ses pleurs et à soulager ses souffrances. On progresse quand
on a compris qu'aucune réponse n'était infaillible : ce qui a satisfait
un jour ne satisfera pas le lendemain. Le bébé confirme ce que disait le
pédiatre et psychanalyste Winnicott, cité par Darrieussecq et dont je
lus pendant ma grossesse <em>Le bébé et sa mère</em>, que non, sa mère n'est pas la déesse mère, ni une mauvaise mère, mais "une mère ordinaire
normalement dévouée", dont les maladresses peuvent se rattraper.</span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Depuis que je suis devenue mère, <em>Le bébé </em>de Darrieussecq m'incite à suivre mes propres réflexions. Peut-être certaines sont-elles la reprise inconsciente de remarques lues dans son livre. Pour les autres, le bébé renvoyant les parents à leurs préoccupations, i</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">l ne me renvoie pas aux fantômes qu'affectionne Darrieussecq, mais à la question du <strong><a href="http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/post/2014-Fran%C3%A7ois-Jullien%2C-Du-temps-%282%29">temps</a></strong>. D'un côté,</span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"> il
dispose de mon emploi du temps, m'empêche de rêvasser comme
d'entreprendre une tâche d'envergure ; il me permet de me concentrer uniquement sur les choses qui le
concernent. Quand j'ai finalement du temps, son caractère impromptu le rend indisponible : je sais seulement après coup que j'ai eu quatre heures pour moi mais
sur le moment, j'ai passé chacune d'elle à attendre que le bébé ait
besoin de moi. D'un autre côté, il m'a aidée à comprendre la seule lecture entreprise depuis le début de l'année, depuis l'accouchement : <em>Du temps </em>de Norbert Elias. Elias insiste sur la nature sociale du temps : parce que nous vivons en société, nous devons synchroniser nos activités avec celles des autres. Le bébé fait ressentir de manière aiguë qu'une expression telle que "avoir le temps de" signifie avoir réussi à synchroniser notre rythme, qu'il soit métabolique ou celui de nos activités, avec les rythmes de nos congénères. Lorsque de surcroît on est calé sur le rythme vital d'un bébé, synchroniser ce rythme-là, si peu prévisible (au moins au début), avec les contraintes horaires sociales nécessite une grande organisation, ainsi qu'une bonne dose de laisser-aller pour surmonter l'impatience, la fatigue nerveuse et physique qui en résultent. (Il faut imaginer une randonnée pendant laquelle on devrait marcher au pas irrégulier et indiscutable d'un autre.) Le bébé me fait éprouver
comme personne que le temps est un processus ; que chaque jour est une
répétition différente du précédent et qu'ainsi évoluent les choses. </span></span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;"><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Il
me fait comprendre nos angoisses fondamentales et la nécessité des
rituels pour avoir prise sur les événements et ainsi se rassurer</span></span>. </span></p>
<p><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">Enfin, en lui </span><span style="color: rgb(51, 0, 51); font-family: "Cambria","serif"; font-size: 9pt;">apparaissent simultanément notre passé et notre avenir lointains puisqu'il nous amène à nous poser la question des croyances
et de notre volonté de transmettre ce que nous avons nous-mêmes reçu, et appris ; il nous oblige à penser à notre mort puisque, si tout va bien, s'il ne
meurt pas avant nous ou coupe les liens avec nous, il est celui qui nous enterrera et transmettra à son tour l'héritage. </span></p>http://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/post/2015-Marie-Darrieussecq%2C-Le-b%C3%A9b%C3%A9#comment-formhttp://lemaillagedeslectures.vhallereau.net/dotclear/index.php/feed/atom/comments/73